Compilations · Discography

ELEGY No9 (Mars/Avril 2000) · Article

 

 

Alan Wilder

 

 

ELEGY

 

No9

Mars/Avril 2000

 

 

 

 

 

Au-delà de toute catégorisation, le projet solo que mène Alan Wilder depuis son départ de DEPECHE MODE navigue sur des mers encore vierges, où se côtoient trip-hop, industriel et soundtracks divers. Une œvre ambitieuse et attachante, totalement dénuée d'arrière-pensées commerciales, qui prend toute son ampleur sur le magnifique LIQUID, à propos duquel il nous a donné quelques éclaircissements.

 

 

 

Jusqu'à présent, tous tes albums avaient été très différents les uns des autres, et cette fois-ci, LIQUID ressemble beaucoup à UNSOUND METHODS...

 

Alan Wilder: (Rires.) Ce n'était absolument pas voulu, je souhaitais en fait enregistrer un album qui soit lui aussi totalement différent de son prédécesseur, et à cette fin, je m'étais imposé quelques nouvelles contraintes : ne pas retravailler avec mes anciens chanteurs, même si j'ai adoré le travail de Douglas McCarthy (NDLR: ex-NITZER EBB) ou de Maggie Estep, commencer par enregistrer des musiciens au travail, et d'autres choses de ce genre... Et pourtant, il m'est vite apparu au cours du travail de copiercoller, par lequel je ressemble tous les éléments disparates de ma musique, que je me dirigeais à grands pas vers un nouveau chapitre de ce que j'avais inauguré avec UNSOUND METHODS. Mais ce n'est pas grave, car je laisse toujours les morceaux s'imposer d'eux-mêmes, sans avoir d'idées préconçues. En fait, c'est même encore mieux ainsi, car j'aime, plus que tout, être surpris par mon propre travail.

 

C'est la première fois que des musiciens extérieurs collaborent à RECOIL, comment cela s'est-il passé?

 

Ce sont avant tout des amis, des artistes que je connais depuis des années. Je connaissais leur parcours, et je savais que je pourrais leur demander d'improviser pendant des heures sans que cela devienne vite inintéressant, comme c'est souvent le cas dans l'improvisation. Je les ai fait travailler sur un tas de styles, de tempos, sans leur fixer de limites; et leur travail, une fois passé par l'ordinateur, a constitué l'ossature des morceaux. C'est sans doute ce qui donne à LIQUID cet aspect plus organique, plus « live », même si en définitive il a été entièrement recomposé par des outils informatiques. J'aime décrire mom travail en tant que musicien comme celui qui consisterait à assembler des puzzles, en n'ayant que quelques pièces en main et juste un vague souvenir de l'image finale qu'il est censé représenter. Alors forcément, tu dois ajouter des pièces que tu fais toi-même, et le résultat n'aura que peu de rapport avec ce qui était prévu, mais peu importe. Le seul « concept » qui apparaît dans l'album m'a été suggéré par un crash aérien auquel j'ai assisté. Je le raconte dans un titre en deux parties, BLACK BOX, qui ouvre et ferme LIQUID. Tous les autres morceaux de l'album sont selon moi un parcours au sein des souvenirs de cet homme, qui sait qu'il n'a plus que quelques instants à vivre. Sa conscience se délite, et en définitive, il ne lui reste plus que des flashs de sa vie passée, qui vont de choses très importantes à des images futiles. Mais il n'a plus aucun contôle sur elles, il ne peut que flotter et se laisser emporter par le courant... D'où ce titre de LIQUID.

 

Peux-tu nous en dire plus sur les chanteuses que tu as sélectionées pour cet album? Diamanda Galás?

 

Diamanda GalásDiamanda n'est pas à proprement parler une amie, mais c'est quelqu'un que je connais depuis de longues années. Nous avons le même label, et j'ai toujours été profondément secoué par sa voix, par la façon dont elle peut faire voisiner sensualité et violence extrême. J'ai tout de suite pensé à elle pour STRANGE HOURS et VERTIGEN, qui est un titre très sombre, qui puise autant dans le jazz que le dub. J'avais toujours voulu travailler avec une chanteuse venant d'un background classique, et Diamanda a cette formation, tout en conservant une capacité incroyable à s'adapter à toutes sortes de styles.

 

 

Nicole Blackman?

 

Nicole BlackmanJ'admirais le travail qu'elle avait fait pour les GOLDEN PALOMINOS, pour DEAD INSIDE, leur album le plus sombre et le plus dérangeant, et aussi ses collaborations avec Bill Laswell et SCANNER. J'ai découvert ensuite qu'elle avait également travaillé avec KMFDM. C'est une artiste très accomplie, très exigeante avec elle-même.

 

L'as-tu vraiment torturée comme elle le prétend?

 

(Rires.) Non, c'est une sorte de blague entre nous, quelque chose comme « la pauvre actrice et le méchant metteur en scène ». La vérité est qu'elle a été bien plus dure avec elle-même que quiconque avec qui j'ai pu travailler auparavant. Mais je crois que le résultat a été à la mesure de ses efforts.

 

En règle générale, est-ce que tu es plutôt dictatorial ou démocrate avec tes interprètes?

 

Je ne pense pas être dictatorial. Je suis très respectueux de leur travail, dans la mesure où ils accomplissent quelque chose dont je serais bien incapable. Je ne coupe jamais un de leurs textes sans leur en parler d'abord. Il arrive que je doive raccourcir un passage ou inverser deux paragraphes, pour mieux intégrer le texte à la musique, mais c'est toujours avec leur accord.

 

La façon dont tu as été amené à travailler avec Rosa Torras est assez inhabituelle...

 

Oui, mais je souhaitais depuis longtemps collaborer avec des chanteuses non anglophones, ce qui m'avait poussé à mettre une annonce sur mon site web, pour inciter mes fans à travers le monde à m'envoyer des enregistrements de leur voix. Celle de Rosa, sa diction espagnole, à la fois rêche et chantante, m'a tout de suite séduit. Je n'avais aucune idée de ce qu'elle pouvait bien raconter, mais je sentais que c'était ce type de voix que je recherchais. Je l'ai donc contactée, puis je l'ai fait venir chez moi à Londres et j'ai essayé de la mettre à l'aise. Il était très important qu'elle se sente en confiance pour que nous puissions travailler ensemble. C'est d'ailleurs une condition sine qua non pour chaque collaboration que j'ai pu entreprendre. Il faut que des relations de confiance s'établissent.

 

As-tu trouvé d'autres chanteuses avec qui tu souhaiterais travailler, par le biais de ces enregistrements?

 

Alan WilderNon, personne d'autre ne m'a vraiment séduit comme a pu le faire Rosa. Lorsque comme moi, tu écoutes beaucoup de voix différentes, tu te rends compte que très peu ont des tessitures vraiment originales. J'ignore encore si je renouvellerais ce type d'expérience dans l'avenir, mais j'aime bien le fait de travailler avec des inconnus.

 

Beaucoup de tes chanteuses ne viennent pas d'un milieu purement musical...

 

Oui, je trouve cela très important. je recrute assez fréquemment des voix dans le domaine du spoken words, de la poésie et de la performance. C'est intéressant de travailler avec des personnes comme Maggie Estep ou Samantha Coerbell, car elles n'ont pas les réflexes et les limitations qu'ont les chanteuses rock. Elles ne vont pas essayer de caler leur voix sur une mélodie ou de sonner d'une quelconque manière. De plus, je trouve que leur expérience d'un champ culturel très différent du mien apporte plus de substance à RECOIL.

 

Trent Reznor a utilisé LIQUID en ouverture de plusieurs concerts de sa dernière tournée. Comment cela s'est-il passé?

 

En fait, je cherchais un distributeur américain et je lui avais envoyé une pré-version de l'album, pour son label Nothing. Il l'a beaucoup appréciée et m'a demandé s'il pouvait l'utiliser pour ses concerts. En définitive, j'ai préféré signer sur Mute US, mais Trent m'a dit que le public avait été très réceptif à LIQUID.

 

Te sens-tu des affinités avec son travail?

 

Par certains aspects, nous nous ressemblons beaucoup. Il travaille énormément en studio et est très attentif à la structure du son, ce qui s'entend d'ailleurs beaucoup sur son dernier album, qui est à mon avis son meilleur. Là où nous différons beaucoup en revanche, c'est qu'il aime se mettre en avant, alors que je préfère rester en retrait.

 

LIQUID (Stumm 173)Faut-il déduire que tu ne tourneras pas encore cette fous-ci?

 

(Rires.) Non, tu devras attendre. Ça viendra, mais il faut que l'idée fasse son chemin en moi. Je ne me vois pas jouer avec RECOIL à la façon d'un concert ordinaire, même s'il serait sans doute possible de réunir toutes mes interprètes pour quelques dates. Il faudrait peut-être pue je présente quelques titres en soutien d'un film... mais ce n'est pas pour tout de suite. Peut-être que mon prochain album sera très rock et se prêtera davantage à ce type de pratique, qui sait?